lecteur1Eric Le Boucher

Slate.fr
8 Février 2010

Si les marchés financiers attaquent si facilement l’économie grecque, c’est de la faute à notre Europe sans tête.

Croyez-vous encore en l’Europe? C’est, au fond, la question que posent les marchés financiers aux gouvernements en créant des turbulences financières dans la zone euro, en Grèce, en Espagne, au Portugal. Ils ont raison, c’est la bonne question. La crise a démontré que l’union monétaire européenne était bancale (une monnaie commune mais toujours pas de politique économique commune).

A l’automne 2008, après la faillite de Lehman Brothers, Angela Merkel a fait la démonstration de l’égoïsme et du chacun pour soi en refusant le plan commun de soutien aux banques que proposait Nicolas Sarkozy, alors président de l’Union. Depuis, rien ne s’est passé, les politiques de sortie de crise relèvent de chaque gouvernement, Bruxelles se contente de dire (mollement, avec des sanctions décrédibilisées) qu’il faudra revenir à l’équilibre maastrichien.

La jungle

L’entrée dans la crise nécessitait une coordination, la sortie de crise aussi. Mais non, les simagrées de retrouvaille franco-allemande qu’on a vues la semaine passée ne cachent pas la réalité des divergences entre Berlin et Paris et le refus obstiné d’aller plus loin dans le fédéralisme économique.

Pour les marchés financiers, cette désunion, cet éparpillement du troupeau européen offre la possibilité d’attaquer les plus faibles. Comme dans la jungle. Il y a beaucoup d’argent à gagner s’ils réussissent à faire craquer la Grèce, puis le Portugal, puis l’Espagne. Un peu comme ils avaient engrangé des milliards en poussant l’Italie et la Grande-Bretagne hors du Système monétaire européen lors de la crise du «serpent» en 1993.

Pourquoi ne pas essayer à nouveau? Ils n’ont rien à perdre en vérité: ils montent les taux que paie Athènes pour se refinancer et ils se couvrent en cas de défaillance de l’Etat grec. Qui règle la note? Les citoyens grecs.

Les 15 pays membres de l’euro sont aujourd’hui dans un jeu perdant-perdant. S’il existait un mécanisme clair de coopération économique qui fixe une stratégie commune de sortie de crise, d’austérité coordonnée, qui dicte clairement comment chaque pays doit revenir à l’équilibre, avec des vérifications et de réelles sanctions, et qui, en cas de difficultés, fasse jouer un mécanisme de soutien prédéterminé, alors les marchés n’auraient pas d’intérêt à attaquer la Grèce. Ils sauraient que la zone est un bloc sur lequel ils se casseraient les dents.

Mais faute de coordination et de parole claire des responsables, le flou permet l’attaque et les gains.

Pour faire plier la Grèce, Paris et Berlin passent par les marchés

Paris et Berlin sont coincés: ils ne veulent pas dire qu’à la fin des fins, bien entendu, ils viendront au secours de la Grèce, membre de l’euro. Laisser tomber Athènes serait en effet engager un processus d’exclusion qui ferait tomber les autres pays les uns après les autres, jusqu’à laisser l’Allemagne toute seule. Mais ils ne veulent pas le dire parce que ce serait donner la permission au gouvernement Papandreou de minorer ses efforts d’austérité. Autrement dit, on arrive à  une politique de gribouille: pour faire plier la Grèce, la forcer à faire des efforts (après des années de triche sur laquelle on a fermé les yeux), on passe par les marchés qui au travers des taux, se «sucrent» au passage. Double peine pour les Grecs.

Et cela ne suffira pas. Comme les marchés financiers semblent estimer que le gouvernement grec n’aura pas la force politique d’imposer la rigueur spartiate nécessaire, ils vont hésiter à financer les 50 milliards d’euros dont le pays a besoin à partir d’avril. Ce sera l’épreuve de vérité: la somme est considérable et il se peut qu’Athènes ne puisse pas la lever et ne plus payer en conséquence ses dettes dans trois mois. Que se passera-t-il? Faudra-t-il alors finir par faire appel aux fonds du FMI et de ses agents qui prendront les rênes des finances du pays?

La bonne question posée par les marchés

A la double peine des Grecs, on ajoutera l’infamie pour tous de mettre un pays de la zone euro sous la tutelle  internationale. L’échec symbolique de l’impuissance européenne s’ajoutera à l’échec économique de risquer la débandade et de ne l’empêcher qu’au prix fort.

La question posée par les marchés financiers est la bonne: si vous vouliez vraiment l’Europe, messieurs/mesdames les Européen(ne)s, cela ne serait pas arrivé, vous disposeriez de mécanismes fédéraux, coordonnés et vous auriez réglé le problème de la dette grecque entre vous.

Bien entendu, on l’a dit ci-dessus, les grands pays membres de la zone euro finiront par venir au secours d’Athènes. Ils ne peuvent pas se permettre de ne pas le faire. Mais quelle leçon tirera-t-on de cette crise de la zone? Ira-t-on enfin vers plus de fédéralisme? Imposera-t-on des procédures coercitives qui obligent les pays membres à respecter leurs engagements du Pacte de stabilité? Pensez-vous! Il ne se passera rien. Les Grecs auront triché depuis dix ans sur leurs comptes, ils vont maintenant «payer».

Pour partie c’est logique, ils vivaient aux frais des Européens. Mais la punition est excessive. Il eu fallu agir bien plus tôt et imposer des mesures de rigueur il y a dix ans.

Orthodoxie

Mais il ne passera rien. Imaginez-vous que Nicolas Sarkozy obéisse aux injonctions de Bruxelles? Non, impossible. Alors? Alors, puisqu’il n’existe pas d’autorité européenne véritable,  c’est aux marchés financiers qu’on demande de «faire le travail» de forcer les gouvernements à rentrer dans l’orthodoxie, à payer leur dette. C’est là un renoncement coupable et en vérité minable: faute de s’entendre et d’abandonner un peu de souveraineté à l’Union, nos politiques préfèrent se soumettre aux directives des marchés.

Mais n’allez pas leur dire, ils croient que les Etats ont regagné de la force. La crise grecque montre comme c’est une dérision!

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